Introduction :
La théologienne française Georgette Blaquiere nous a quittés lundi 19 novembre dans sa 91ème année. Épouse et mère de trois enfants, grand-mère et arrière-grand-mère, elle a selon le titre de l’un de ses livres « osé vivre l’amour »
« Une nouvelle reine au ciel » c’est ce que clame le père Daniel-Ange ; fondateur de l’Ecole catholique internationale de prière et d’évangélisation « Jeunesse-Lumière ».

"Dring ! dring ! dring !
« Allô ? Je suis le Nonce apostolique. Je vous transmets l’invitation du Saint-Père à venir déjeuner avec lui jeudi prochain »
Georgette de lui raccrocher au nez : « on ne se moque pas d’une vieille dame comme moi ! » (Du Georgette tout craché ! )
10 minutes plus tard : « je vous assure, vraiment, je suis le nonce... C’est très sérieux. Jean–Paul II veut vous voir sans tarder. »
De fait, une des amis les plus intimes de Jean–Paul II, Charlotte de Habitch, Hollandaise mariée à un Polonais, siégeant longtemps avec l’archevêque de Cracovie au Conseil pontifical pour les laïcs, lui avait donné à lire : « la Grâce d’être femme » ainsi que « l’Evangile de Marie », ces deux best-sellers de l’époque. Ces deux purs chefs-d’oeuvre et d’écriture et de profondeur.
Le Pape, mijotant déjà sa grande encyclique Mulieris dignitatem, a d’abord tenu à vivre de longs partages avec elle . Plusieurs passages de ce brillant texte pontifical s’en inspirent manifestement . (Cela mériterait une étude approfondie : avis pour une thèse de doctorat).
Et dans sa délicatesse et son humilité, Jean–Paul II ans a voulu qu’au jour de la parution officielle du document, "l’Osservatore Romano" consacre une page entière à celle qui l’avait inspiré.
Mais ce rôle discret joué pour l’enseignement du magistère n’est qu’un des fruits de ce véritable magistère de la parole, vrai charisme au service de l’Eglise, du moins dans les pays francophones, unanimement reconnu. Qui n’a pas été marqué par la profondeur, la qualité, l’originalité de ses innombrables cours, enseignements, causeries ? Aussi bien dans les cercles de spiritualité Charles de Foucauld, dans les rassemblements et sessions de ce Renouveau Charismatique qu’elle découvrait avec enthousiasme, ou encore dans les articles, que l’on ne compte plus. Personnellement, j’avais déjà été impressionné par ceux-ci dans la revue Jésus Caritas (de la famille du petit frère Charles de Jésus) qu’elle avait un moment d’ailleurs dirigée
C’était dans les années 60, à 2000 m sur la crête Congo–Nil l’épine dorsale de l’Afrique des Grands Lacs . Le père René Voillaume, qui passait parfois nous visiter, me l’avait signalée.
Je ne pouvais alors me douter que j’aurais l’incomparable grâce non plus de savourer ses écrits, et de m’en inspirer, mais de la rencontrer si souvent, mieux : de pouvoir la visiter et parfois séjourner seul ou avec quelques jeunes de Jeunesse-Lumière (où elle venait donner des sessions) dans sa demeure si chère de Caylus au fin fond du Tarn-et-Garonne.
Si nombreux, ceux qu’elle accueillait chez elle, porte toujours ouverte ! Que d’heures vécues là ensemble, les soirs d’hiver autour d’un chaleureux feu de bois, les matins d’été sur la terrasse dominant la paisible vallée. Sans parler de ces petits pèlerinages, en longeant le ruisseau ombragé jusqu’au sanctuaire de Notre-Dame de Livron, illustré par le séjour en ermitage d’un saint espagnol, le bienheureux Père Palau., Parfois, nous restions en silence dans la pénombre colorée par les grands vitraux, parfois nous chantions la liturgie des Heures. Car toutes ces heures baignaient dans la louange du Seigneur, car vivant dans la clarté du regard de Jésus posé sur nous. Moments d’éternité !
Plus qu’une bienveillance, elle était une présence.
Qui donc recevait-elle ainsi si largement, si généreusement, inlassablement, jusqu’à ce qu’elle doive, le cœur déchiré, quitter cette terre tant aimée ?
Tout ceux qui avaient besoin d’être éclairés, confortés, encouragés, ou simplement besoin qu’elle prie sur eux, ne fût-ce que quelques instants. Mais des instants de Ciel !
Qui dira le nombre de personnes arrivées déprimées, écrasées par de lourds fardeaux, blessées en profondeur, ou simplement n’en pouvant plus, et redescendant l’humble colline apaisées, réconfortées, stimulées !
Que de personnes conseillées par elle ! Elle était d’une telle sagesse, d’une telle justesse, en même temps que d’une telle tendresse. Elle avait à un degré rare le don du discernement, frisant la lecture des cœurs. Elle était une présence au sens fort du monde. Toute entière présente et à Dieu qui l’inspirait et à celui qu’elle accueillait. Présence toute rayonnante de la douce présence de son bien-aimé frère et Seigneur Jésus.
Georgette est pour moi la mère spirituelle par excellence. Non maternante mais véritablement engendrante comme cela a été si bien dit.
Il faudrait souligner encore une véritable maternité spirituelle pour prêtres et consacrés. Elle les portait d’une manière très intense. C’est une des trop rares femmes invitées à prêcher des retraites sacerdotales, comme le fait aujourd’hui encore à travers le monde une Sister Briedge McKenna. Que de vocation sauvées, de consacrées ressuscitées ! Mais aussi de couples réconciliés !
Que son intercession céleste nous obtienne bien d’autres femmes, sœurs, servantes et mères, totalement livrées au service de l’Eglise. Elle reste pour nous une icône vivante du ministère de la femme dans l’Eglise. Dans la grâce propre de cette féminité dont elle a été la chantre émerveillée. Pour tant de charismes, de dons spirituels, comment ne pas rendre grâce, ne pas exulter ?
Enfin il y a la manière héroïque dont elle a vécu la grande épreuve finale. Ces longues années à subir, pardon à offrir, ces redoutable maladies de la vieillesse : Parkinson et Alzheimer.
C’était son purgatoire, sonVendredi-saint, préparant et précédant son entrée dans la Gloire pascale de son Seigneur. Cette gloire qu’elle évoquait avec tant de force. Elle devait vivre cette étape en intense communion avec ce Jean-Paul II sur qui elle avait écrit un merveilleux poème:Le vieux berger.( le cardinal Stanislas Dziwisz me confiera que lorsqu’il l’avait lu à Jean-Paul II, celui-ci en avait eu les larmes aux yeux).
Pendant toutes ces années, elle aurait pu tellement aider certaines communautés en difficulté car elle était une référence unanimement respectée mieux : incontestée vu son aura. Elle créait l’unanimité, don précieux entre tous. Que de noeuds aurait-elle pu dénouer ! À sa manière, tout en douceur, en même temps que de conviction.
Mais le Seigneur en a jugé autrement. Sans doute, comme pour Jean-Paul II, ce devait être les années les plus fécondes de sa phase terrestre d’existence, vivant les douleurs d’enfantement de l’ Eglise. Celles où elle a été au maximum sauveur avec son Jésus Sauveur, après avoir été si longtemps consolatrice dans le Consolateur et mère dans le Père.
Georgette, ma sœur et presque un peu ma mère, pour tout ce que tu as été pour moi, et pour une multitude, laisse-moi simplement te dire : dans toute l’éternité, sois-en bénie , toi la bénie du Père ! Te voilà partageant l’éternelle jeunesse de Dieu. Jean-Paul II et toi, je vous vois valser ensemble ou plutôt en joyeuse farandole avec cette immense famille du Ciel qui était déjà la tienne sur terre. Avec ton époux tant aimé, lui aussi Jean-Paul, avec frère Charles et René Voillaume et petite sœur Magdeleine de Jésus. Avec Pierre Goursat, Emiliano Tardif et tant d’autres qui te précédaient en ce Royaume où les pauvres et les petits sont Rois. De fiancée de l’Agneau te voilà Reine ! Reine au cœur d’or. Ciao !

Article paru dans Zénit 28 novembre 2012 et dans France Catholique n°3331 7 décembre 2012

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